CHIANG MAI | un cours de cuisine à la Gap’s House

Aujourd’hui, je vais mettre la main à la pâte de curry vert.
Ho, cuisinier rongé quoique fabuleux, nous emmène d’abord visiter le marché Talat Ton Phayon où il nous conte les racines, ces tiges de bambou qui mijotent dans une bassine circulaire et que l’on pèle avant de consommer telles quelles ou d’émincer pour un sauté, les aubergines, agates virginales, humectées, bombées et idéales, les vers en barquettes, les têtes de coq rôties entières avec les yeux et au fond de hauts seaux ouverts: du lait de coco récemment pressé dans lequel notre guide gastronomique crée d’enthousiastes remous moyennant un long bâton de bois.

L’école est en dehors de la ville, sous une charpente décorée, vingt postes de cuisson à gaz et les tables centrales auxquelles on s’assied, crayons affûtés, disposés à gribouiller le livre de recettes. Celui qu’il ne faut pas suivre à la lettre, les cuillères pouvant considérablement varier en taille. Au final, les doigts sont les meilleures mesures. Et le cœur. Il est impératif de toujours goûter et rectifier, ainsi que de disperser moult interjections bruyantes au moment d’éclater des piments sur la planche, sans quoi le plat est voué à l’échec. La citronnelle se coupe en diagonale ou s’écrase afin d’en libérer les saveurs et la soupe ne doit jamais être remuée pendant qu’elle bout. Chaleur brutale et acier fin.
Empreinte d’une gouaille délectable, la voix de Ho atteint des degrés d’acuité tout asiatiques suivis en saccades par des terminaisons râlantes de mots qui n’en finissent pas de finir.
Je me souvenais du concept des équilibres mais il était précieux de voir notre chef intensifier ses rides de marionnettes en disant «if it’s too salty: add sugar, if it’s too sweet: add fish sauce, if it’s too spicy: too late».

Nous avons maculé nos tabliers, aimé les noix de cajou plus que de raison, nous avons teinté d’accents du Yorkshire, écossais et flamands nos soufflés de vivaneau. Nous avons déployé des efforts honorables pour décimer les nombreuses concoctions puis pour faire naître une rose d’une peau de tomate. Un nymphéa d’un oignon.
Enfin, nous sommes repartis en pick-up et Sunny, le voisin de cinq printemps, a agité sa paume jusqu’à ce qu’il soit un infime comédon sur la chaussée poussiéreuse.

La Julie Guesthouse est un repère bohème dans la rue des blanchisseries. Celles-ci se réduisent à une machine à laver et un sécheuse, posées à même la terre battue, et une quinzaine de cintres aussi dépareillés que tordus sur des tringles aléatoires.
Dans la cour de la pension, on éventre vies et destins au décapsuleur. Nous avons tous un sac à dos colossal, des secrets, de grands projets existentiels. Beaucoup de voyageurs n’ont pas de billet retour et je les jalouse.
Je savais qu’il allait être facile d’écouler les innombrables restes de la journée. Vanessa et une paire de français, deux israéliens qui sortent de trois ans de prison et une hollandaise ne renâclent point à engouffrer mes «fishcakes» ou autres flans cuits à la vapeur dans une courge. Et leurs mouvements de crâne étonnés ont défié la gélatine.
Sur les coussins triangulaires traditionnels, je contemple le toit de tôle d’où pendent ces boules colorées, enrobées d’un lacis de paille, qui éclairent sans insistance des amitiés superficielles, fraîchement formées et déjà toute prêtes à se défaire.
Emotions d’un éphémère phénoménal, chaque seconde est ma maison.

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