L’initiation s’achève dans la capitale. Y triomphe ce bourdonnement tout italien qui décuple dès 18h quand finit l’heure de la sieste et débute celle de la mode à l’étalage. Peu importe l’âge, il est impératif qu’ils aient les lunettes de soleil savamment ajustées au sommet de la tête, jours de pluie inclus, les chaussures lustrées et des fesses saillantes moulées de très près par Dolce&Gabbana. Devant tant de laque, moi, je prends des notes.
Bari balance un charme désuet avec la frénésie du trafic, les spectaculaires moulinets des cellulaires, les petites mères qui s’impatientent aux caisses du supermarché et s’insultent, les chiens qui se soulagent, les Alfa qui klaxonnent, les Nigériens qui vendent des sacs, des odeurs de ragoûts et de minestrone, pas mal de poussière et une lumière platine sur les pavés blancs au crépuscule.
A chaque coin de rue de la veille ville, une vierge dans une vitrine, entourée de bougies et de fleurs en plastique, nous contemple de ses yeux tristes, elle nous voit nous enfiler dans une venelle, nous immobiliser, nous retourner, nous gratter le crâne et repartir dans le sens inverse, effectuer 6 circonvolutions histoire de nous retrouver au même endroit, scruter en arrière avant d’avouer forfait et ressortir une énième fois le plan.
Chez Enzo e Ciro, établissement historique de la Via Matteo Renato Imbriani, il faut avoir joué aux cartes avec le gérant pour se faire servir rapidement. Les autres feront la queue sur le trottoir, avanceront dans la file emplis de foi, attisés par des vapeurs de «cucina casalinga» presque libidineuses émanant d’une imposante soufflerie en façade. Puis franchiront le seuil miraculeux pour attendre encore 45 minutes debout entre les tables, les boucles dorées des créatures à grande bouche, des cravates élégantes mais tachées de «sugo» et autant de dents luisantes sur une «braciola», ce porc qui a braisé pendant des lustres comme le faisait la mamma, des éclats de rire, un couteau qui tombe, des noyaux qui roulent et les serveurs moites. Ils détalent une volée d’escaliers étroite jusqu’à une minuscule mezzanine avec les radius chargés d’une superposition d’assiettes improbable. Ils aboient des commandes par-dessus le vacarme ambiant et lancent des amoncellements de burrata coulante. Vibration flasque au contact du chêne patiné.
On vous bouscule, on vous ignore puis on vous case vers le four à bois où les températures atteignent des apogées saoudiennes. L’oncle, le cousin, le frangin, chacun à son poste sous le sceptre d’un Saint autocollant, émincent à la vitesse du son, malaxent, pétrissent, blasphèment, font pirouetter des disques de pâte, s’essuient le front dans leur tablier, dégainent des pizze aux aubergines ou aux cèpes, poivrent, salent, huilent, tranchent, jurent à nouveau.
Au bout d’une heure et demi, nous sommes enfin installés sur des chaises de paille. On commence par une portion de légumes grillés au gros sel et on finit par vouloir vivre ici.
Le matin, il n’est pas rare de se faire réveiller par quelques vieux tubes napolitains que des voisines de pension mettent au volume maximum tandis qu’elles suspendent leur linge. Alors les rayons entrent par les persiennes et on a soif de dire «je t’aime».