ATELIER CHOCOLAT | fabrication et dégustation

Dan Durig nous accueille avec une once de timidité. Nous sommes une quinzaine de fins becs, emballés dans des tabliers en polyéthylène autant que par l’idée seule d’avoir pénétré l’antre magique du laboratoire.
Aujourd’hui, nous allons confectionner des figurines animalières. On nous attribue à chacun un moule en deux parties et un pinceau dont on trempe la pointe dans une ganache blanche. La gouache lactescente est appliquée avec une virtuosité relative sur les reliefs en négatif des oreilles d’ours, des museaux de chat, sur l’ivoire éléphantesque. La paire de coques est ensuite assemblée au moyen de pincettes métalliques et nous laissons les touches durcir au frigidaire.

Pendant ce temps, notre faiseur de rêves nous explique son attirail. Deux engins, fonctionnant à la manière d’un bain-marie, fluidifient respectivement 25 litres de chocolat au lait et un volume identique de noir. Ce magma brillant est sans cesse brassé dans des cuves à 44 degrés avant de ressurgir de la tuyauterie en une cascade moelleuse et indécente à la température idéale d’environ 30 degrés.
Il détaille les trois différentes variétés de cacaoyers: le Forestero, le Trinitario et le Criollo. Ce dernier est le plus rare et bien entendu le plus cher. Nourriture des dieux, riche en matières odoriférantes.
Il nous conte les fleurs du theobroma, lesquelles poussent à même le tronc, leur calice rosâtre et les moucherons qui les pollinisent pour donner des cabosses. Une fois récoltées, celles-ci sont vidées de leurs fèves, qu’on laisse fermenter puis sécher avant de les expédier à travers la planète.

A l’instar du café, ces pépites sont torréfiées afin d’augmenter leur arôme et ultérieurement broyées. Monsieur Durig nous en fait goûter, telles qu’elles étaient consommées par les Mayas et les Aztèques d’antan. Tandis que les farouches égrugent une miette entre les dents, je choisis un morceau trapu. Le parfum âcre envahit mon palais, y dépose un fabuleux souvenir de tabac. Daniel évoque l’utilisation de ces «nibs» dans certaines préparations culinaires salées, je sais qu’il pense au «mole poblano», ses anchos, chipotles et autres pasillas sur la chair de dinde.
Les grués sont alors transformés en une pâte liquide dont est extrait le beurre de cacao. On nous en tend un fragment insipide et graisseux. J’ai envie de me le passer sur les lèvres.
La dernière étape consiste à ajouter à la masse du sucre, en quantité variable, et potentiellement du lait en poudre.

Nos bestioles de plastique sont prêtes à être complétées. Or, je me vois emportée par les attraits photographiques de mille amandes et leurs dépôts de fard sur des pans d’acier. Je permets à mes songes de suivre la bichromie abstraite d’une coulure et me voici en décalage avec les participants attentifs qui se sont déjà tous exécutés. Mon moule encore piteusement vide trahit une nouvelle occasion manquée de me montrer discrète. J’ai en outre omis d’écouter les instructions.
Il s’agit en fait de remplir la matrice, pattes en l’air, sous le robinet de la machine puis de la remettre à l’endroit sur une tige vibrante qui aidera cette sorte de barbotine à se répartir de façon uniforme contre les parois et en éliminera le surplus. Après un bref temps de séchage, l’opération se répète. Maculant ensuite une feuille de papier sulfurisé de lestes coups de spatule, Dan dessine des bases sur lesquelles nous asseyons nos créatures.
On a des zébrures sur les doigts et l’heure n’est pas à la bienséance, d’où une pléthore de succions.

Ecureuils et crocodiles seront enfin libérés de leurs étaux. Les moins honteux se ruent sur des scories éparses, cassures attrayantes qu’il serait péché de laisser à l’abandon.

L’atelier est terminé, notre artiste nous convie alors à déguster sans retenue les divers pralinés qui attendent lascivement en vitrine. Peu importe les revendications du foie quand on ne vit qu’une fois. Nous accepterons donc, au bout d’une exquise pince argentée, d’irréguliers sceptres de gingembre cristallisé et piquant dans un drapé de brocart; des quarts de tranches d’oranges confites dont seul le faîte émerge comme une aube et, au creux de chapeaux cannelés, un caramel fondant à se damner; des boules chatoyantes, dodues de rhum des îles et saupoudrées de cacao brut; le contraste d’un filtre d’amour ébène et d’un pruneau d’Agen; un Irish coffee sous la neige; les noisettes du Piémont; des massepains qui chantent Valence et des briquettes de gianduja aux pistaches.

Le moment insupportable est venu de quitter les lieux, nous sommes gorgés de soie vanillée. Il paraît que le chocolat est aphrodisiaque, c’est ce que nous allons voir.

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4 commentaires pour ATELIER CHOCOLAT | fabrication et dégustation

  1. Sido dit :

    Que de doux et savoureux souvenirs 🙂
    Mon chat noir aux pointes d’oreilles blanches s’est misérablement écrasé sur le sol avec l’aide involontaire d’un des hommes de la maison…. ce sera moins dur d’y goûter… la partie la plus pénible du processus consistant à démolir l’oeuvre en petits morceaux ayant déjà été effectuée!!

  2. lewerentz dit :

    Un billet fort alléchant et très bien écrit ! 😉

  3. Ste dit :

    Hey je ne savais pas que tu étais allée visiter la fabrique de Willy Wonka!!
    Quel beau et bon moment ça a dû être!

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