BANGKOK | Chinatown

Chinatown, lieu de perdition s’il en est un. N’essayez jamais de retrouver un ami dans le dédale hystérique des rues. Le long de Th Yaowarat, sous les vertigineuses enseignes, leurs sinogrammes fluorescents, se déploient des stands de grenades, de goyaves prétranchées et recluses dans des sachets transparents, de jus de maracuja pressés in situ, de confiseries faites à partir d’une pâte de miel qu’une femme s’enroule autour des mains puis file tel un écheveau de laine en la passant dans de la farine jusqu’à ce que la préparation prenne, comme par magie, une consistance de cheveux d’anges, avant de la transformer en des cocons au cœur de cacahuètes et graines de sésame. Dans chaque recoin, on peut acquérir des crêpes friables reployées sur un mélange de noix de coco râpée, d’oignons de printemps et de sucre ou encore des doughnuts, servis dans une barquette en carton et arrosés d’un coulis aussi vert qu’un thé matcha. Des camionnettes sont chargées de durians, ces ovales agressifs dont l’écorce s’apparente à la carapace d’un ankylosaure, hélas rendus notoires par leur chair méphitique. Ils sont d’ailleurs officiellement interdits dans les espaces publics et transports en commun, entre autres dans les aéroports où défilent des messages télévisés selon lesquels les voyageurs désireux d’embarquer avec une arme à feu ou ledit fruit maudit, doivent contacter un membre du personnel.

Des familles ou des groupes d’adolescents se rejoignent, baguettes et toisons luisantes, une fibre résolument authentique, voire populaire résonne dans les différents dialectes chinois, bribes que l’on saisit au hasard de la cohue. Dans les allées plus étroites, des rais de lumière blonde dessinent un coude replet ou deux bidons d’huile. Un jeune homme déambule avec un vaste panier en osier posé en équilibre sur le sommet du crâne, des vieillardes sont courbées au-dessus de baquets à même le sol où elles lavent une pile d’assiettes. Certaines ont la peau du visage tellement plissée qu’on peine à y distinguer les yeux, leurs petites fentes usées.

La plupart des étals sont flanqués de vagues tabourets or quelques-uns n’ont guère de table. Les gens mangent debout, en marchant, ou accroupis à la hauteur des roues des tuk-tuks qui s’insinuent entre les traînées de phares. On déglutit avec fracas des consommés de langue de porc et œufs, des beignets d’huîtres, toutes sortes de mets indéfinissables mais pour sûr corsés, des marrons chauds qui semblent s’être égarés, des «wontons», des canards, la nuque transpercée par un gros crochet, avec la tête laquée et triste, abandonnée sur le côté.

On se glisse dans une officine pharmaceutique. La vitrine est fière de ces curieux nids d’hirondelle qui entrent dans la confection d’une soupe célèbre en Asie du Sud-Est, très onéreuse mais réputée pour aider à la digestion, la convalescence, le métabolisme, l’énergie, l’ossature des fœtus, les poumons, la beauté des traits, la circulation sanguine, pour lutter contre la sénescence, la fièvre, la grippe, la toux, l’asthme, les maux de gorge, les cellules cancéreuses. Pourquoi donc s’en priver, se demande-t-on. Peut-être parce que ces paquets filandreux et translucides ne sont autre que le mucus mucilagineux sécrété par des martinets pour construire leurs abris et que cela nous révulse un peu.
On trouve également des ailerons de requins, réduits à de fines aiguilles après une interminable cuisson dans un bouillon aussi gélatineux que tonique et fortifiant.
Et parmi une panoplie kafkaïenne de produits médicinaux traditionnels, vipères ou hippocampes lyophilisés, des boîtes grandement festonnées présentent, à travers une découpe plastifiée, comme des poupées Barbie, des pénis de cerf racornis. Le frêle vendeur nous explique que le remède est prescrit aux mâles dans le besoin puis illustre son discours d’un geste universel.
Ce n’est pas tout à fait pour nous. Nous préférons pénétrer dans un sanctuaire «săhn jôw» et, sous les lanternes en papier de riz, implorer la prospérité à Confucius.

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