BANGKOK | entre le marché aux amulettes et le marché aux fleurs de Pak Khlon

Près de Tha Phra Chan, je suis restée plus de deux heures entre les étals captivants du marché aux amulettes, à éviter quelques serpents ébène, fins, luisants, que les pêcheurs utilisent en tant qu’appâts et qui s’échappent parfois de leur baquet pour venir se tortiller au sol, causant répugnance voire exécration. Dédaignant les sacs de riz entassés à terre afin de tarir les eaux débordantes du fleuve adjacent, certains téméraires enlèvent leurs chaussures, prennent les allées secondaires et foulent les flots troubles de leurs pieds nus.
Nulle part ailleurs ne peut-on admirer une telle concentration de talismans, fétiches, grigris, mascottes, porte-bonheur, reliques. J’ai presque la tête qui tourne parmi ces milliards de pièces en métal ou en ivoire et leurs cordons nattés, les perles, les médaillons, les coquillages sertis de tressages, ces figurines prises dans d’infimes récipients remplis de liquide. Je m’étonne devant des cornes, des fragments de peaux de bêtes, des sortes de tubercules poilues, des dentiers irréguliers sur des présentoirs en velours. Et des verges de bois buriné plus ou moins monumentales.

L’aura enfumée d’une carriole caracole. D’un stand comme du néant, surgit un petit monsieur chargé d’un plateau, maintes assiettes de pad thaï y sont disposées, les abondantes tiges de citronnelle et des touffes géantes de coriandre fraîches disparaissent derrière un gros ventilateur. On surprend des camelots en train de somnoler ou de se tailler les ongles, une grand-mère se fait peigner les cheveux, affalée tel un panda pansu et las. Un moine en «uttarasanga» consulte des plaquettes rectangulaires en argile, en lâche une, la casse, la remet sur l’étalage. Il faut croire que les déprédations ne sont que péchés véniels dans la doctrine bouddhiste.
Le long des rues voisines, l’agitation est encore plus dense. Il est impossible de m’arrêter dans l’espoir de contempler la chaussée sans que quinze taxis et autant de tuk-tuks m’invitent pour une course d’un coup de klaxon aigu. Les herboristeries débitent baumes, poudres ou antidotes, côte à côte avec des magasins d’uniformes et des ateliers de sculptures.

Je quitte des ananas mouchetés d’insectes, remonte Th Na Phra That, rejoins Banglamphu. J’ai à ce stade perdu probablement les trois quarts de ma masse aqueuse, que j’essaie de substituer par un jus de betterave. L’humidité ambiante a atteint son paroxysme quand éclate une averse tropicale comme jamais je n’en avais connue.
Sous un auvent, à attendre que les cieux se calment, une félicité irrépressible s’empare de moi et les picots rebondissent sur le bitume qui devient tapis de bulles.

Le crépuscule arrive sans crier gare et la pollution s’évanouit dans une couverture de jais. C’est l’instant où s’anime le marché de Pak Khlon, quand les ramboutans et leurs crins verts cèdent un peu de place aux pétales de frangipaniers, aux roses et aux boutons de jasmin. Les périanthes sont pesés, des offrandes sont confectionnées, des femmes discutent en s’essuyant les mains sur leur tablier, des commerçants tentent de faire passer des chariots lestés de caissettes entre les établis submergés, leurs hautes bottes en caoutchouc chuintent, des postes de télévision grésillent, un enfant harponne un vendeur de maïs.

Plus loin, on hale de colossaux blocs de glace sur le trottoir fangeux et vers ou grillons rôtis sont dispensés par pellées.
Je m’extasie longuement face à ces rissoles incongrues. Je ne sais pas encore que je vais en voir bien d’autres.

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