NEW YORK | Harlem

Magnolia Bakery. Je dédaigne leur classique tourte à la vanille de couleur pastel, les «pies» aux liserés festonnées, les mystères sudistes du Red Velvet, la meringue au citron et les ananas pépiant comme autant de colibris, leur Pumpkin Spice aux canneberges séchées. Tout est laque, miettes et molasse. Outre les sucettes au peanut butter, il est fort possible de chavirer pour un muffin -aux framboises, aux zestes d’agrumes, aux fibres et sultanines. Il y a aussi une quinzaine de fairy-cakes différents et tous sont préparés in situ en quantités réduites. Six tabliers derrière le comptoir soulèvent d’un geste rapide et preste les nappages blancs, marrons ou lilas avec une spatule en métal pour créer une pointe irréprochable où se posent, en voltigeant, roses en sucre et poudre de cacao. Mon appétence piaffe face aux cheesecakes. Les limes, «swirls» de chocolat, «ginger snap crusts» n’ont pas les arguments d’un cerneau de pécan. Le vendeur aux dents baguées me demande de patienter car il doit encore couronner le palet immaculé de sauce caramel. Qu’il fasse et bien lui en prenne.
L’ambre emperle la masse, une sueur froide roussie. Le biscuit croquant est un rien épicé, je concède que l’œuvre atteint l’apogée. A cet instant précis, je sais que je peux désormais décéder paisiblement, j’ai tout vécu.

Tout sauf une messe gospel.
Il y a un chapelet d’environ 120 vacanciers aux abords de l’Abyssinian Church, chacun portant une tenue grotesque plutôt que sa croix. Je me refuse d’attendre deux heures pour l’Eternel et me dirige vers Saint-Thomas the Apostle.
De nombreux prédicateurs se succèdent, annoncent des pique-niques et autres soirées organisées par l’église avec dates et menus détaillés, du poulet et de la salade de riz. Des pensées spéciales sont ensuite formulées pour cette fidèle qui subira bientôt une opération de la cataracte et les horaires du dernier service de tel vicaire sont fixés. Des «good morning» retentissent, les croyants ponctuent régulièrement les sermons de «Amen» pétulants puis applaudissent avant de reprendre à chanter l’Evangile. Je suis à nouveau sauvée de l’embarras par le zélateur, qui, assis sur le banc devant moi, se retourne pour m’indiquer la page de l’hymne en question. Nous sommes conviés à nous présenter, la liturgie se mue en une longue séance de congratulations générales, on se serre la main, on se sourit, on me confirme dans mon désir de ressusciter Calvin pour lui lancer des pierres sur la place publique.
Bénis sont le président des Etats-Unis, l’évêché, nous tous assemblés et les autres, ceux qui sont dans l’affliction ou le besoin. A l’instar de la campagne selon laquelle il est inconcevable de quitter la maison sans sa MasterCard, il ne faudrait jamais sortir de chez soi sans sa bible. Il en existe de très petites. Et des loupes fantastiquement efficaces. Car on ne peut pas gagner la bataille sans épée, «these are the words of the Lord» et ainsi soit-il. Alors, soudain, on a envie d’y croire.

Au hasard de Malcolm X Boulevard, un imposant monsieur en chemise me regarde photographier une alignée de «brownstones» et se met à commenter l’ancienneté des bâtiments, me fait admirer les colonnes corinthiennes en m’expliquant les origines gréco-romaines des feuilles d’acanthe. Je n’ose point le chagriner en lui disant que je connais déjà l’histoire et lui souhaite une bonne journée. «You too, darling» réplique-t-il. Et d’allonger le pas sur le trottoir inégal.

Voici Harlem, des descendants d’esclaves qui aiment la vie. Les chaises pliantes dans les embrasures de porte, maints stands en bordure de route où sont bradés encens et prières sous cadre, ces hommes en smoking impeccable, coruscant, et ces coiffes de femme ou les escarpins zébrés d’une africaine en costume traditionnel, affalée de chaleur dans un renfoncement, les promesses du jazz au Théâtre Apollo, des terrains de basketball, barbecues et bulles de savon, puis ce magasin de perruques qui sent la moquette et le poil.
Et la soul food.
L’aura de Amy Ruth, native d’Alabama et dévote mère de dix enfants, ondoie toujours sur les pancakes, les «bread puddings», les côtelettes de porc à l’étouffée, le hachis de corned-beef avec ses deux œufs et son gruau d’avoine, sur les poissons-chats ou merlans cuits au four, entre le rôti de dinde et une farce oléagineuse. Parmi des accompagnements comme ce chou fourrager un peu âcre mais non moins incontournable, le maïs luisant ou la purée de pommes-de-terre, on trouve des ignames candis, des gombos et on songe à la traite négrière.
Quelques venelles fleurent la vinasse, l’urine et les poubelles putrides mais les habitants semblent avoir davantage de temps. Pour vous remarquer, nous appeler «poupée» ou me dire que j’ai des jolis yeux.

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